
La Suisse renforce ses liens avec la Chine alors que l'UE navigue une relation complexe avec Pékin
La Suisse approfondit ses liens avec la Chine tandis que l'UE navigue dans une relation complexe avec Pékin
La diplomatie alpine trace une voie indépendante au milieu des tensions mondiales
BERNE, Suisse — Dans une salle ensoleillée du Palais fédéral, la Présidente de la Confédération suisse, Karin Keller-Sutter, a accueilli mardi le nouvel ambassadeur de Chine en Suisse, Qian Minjian, déclarant l'engagement de la Suisse à « approfondir encore la coopération bilatérale et multilatérale avec la Chine ». La rencontre, qui comprenait la remise formelle des lettres de créance, a souligné la volonté continue de la Suisse de tracer une voie diplomatique indépendante avec Pékin, même si ses voisins européens adoptent des positions de plus en plus prudentes.
La déclaration de coopération suisse est intervenue le même jour que la rencontre entre la Présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, et le ministre chinois des Affaires étrangères, Wang Yi, à Bruxelles. Les deux parties préparaient une prochaine réunion des dirigeants UE-Chine marquant le 50e anniversaire des relations diplomatiques entre les deux puissances.
Ensemble, ces engagements diplomatiques mettent en lumière la position unique de la Suisse en tant que pont et tampon entre la Chine et le monde occidental au sens large — une relation bâtie sur des intérêts économiques pragmatiques qui contraste de plus en plus avec l'approche plus conflictuelle de l'UE.
L'exception suisse : miser sur la neutralité en des temps mouvementés
L'approfondissement des liens de la Suisse avec la Chine s'appuie sur un fondement établi en 1950, lorsque la Suisse est devenue l'une des premières nations occidentales à reconnaître la République populaire. Cette bienveillance historique, combinée à la neutralité traditionnelle de la Suisse, a créé un canal diplomatique qui reste ouvert même si les tensions géopolitiques augmentent ailleurs.
« La Suisse a cultivé une niche précieuse dans ses relations avec la Chine », note un analyste en politique étrangère basé à Genève. « Tout en maintenant ses valeurs démocratiques, elle est capable d'engager Pékin sans les frictions idéologiques qui caractérisent les interactions de la Chine avec l'UE et les États-Unis. »
Cette agilité diplomatique s'est traduite par des avantages économiques tangibles. La Chine est le troisième partenaire commercial mondial de la Suisse et son plus grand en Asie. L'accord de libre-échange historique de 2014 — le premier accord aussi complet entre la Chine et un pays d'Europe continentale — a éliminé les droits de douane sur la plupart des biens et services échangés entre les deux nations.
Montres, Pharma et Diplomatie : Une symbiose économique
Malgré une baisse globale des exportations suisses vers la Chine — en recul de 19 % en glissement annuel selon les dernières données — des secteurs clés continuent de considérer le marché chinois comme essentiel pour la croissance. Les géants pharmaceutiques suisses, les fabricants de précision et les horlogers de luxe maintiennent des opérations et des parts de marché significatives en Chine, même si la demande des consommateurs montre des signes d'affaiblissement.
La relation économique, cependant, fait face à des vents contraires. Les exportations suisses vers la Chine ont glissé de 3,5 % en glissement annuel en 2023, avant la baisse plus marquée de 19 % enregistrée de mai 2024 à mai 2025, signalant des défis potentiels à venir. Le secteur horloger a été particulièrement touché, avec des exportations chutant de 26 % en glissement annuel.
« Les chiffres reflètent le ralentissement économique général de la Chine plus que toute tension diplomatique », explique un économiste senior d'une banque basée à Zurich. « Les entreprises suisses jouent le jeu à long terme, pariant que le marché chinois se rétablira et que les positions établies maintenant porteront leurs fruits plus tard. »
Tableau : Principaux Domaines de Synergie entre les Économies Suisse et Chinoise.
Domaine | Forces suisses | Forces chinoises | Exemple de Synergie |
---|---|---|---|
Commerce | Exportations de haute valeur, marchés ouverts | Grand marché, fabrication | Accord de libre-échange, commerce robuste |
Innovation/Technologie | R&D, précision, sciences de la vie | Mise à l'échelle rapide, numérisation | R&D conjointe en IA, robotique |
Durabilité | Technologies propres, éco-tourisme | Investissement dans le développement vert | Économie de montagne, éco-coopération |
Finance | Services bancaires, gestion d'actifs | Marchés de capitaux en expansion | Collaboration en services financiers |
Éducation/Recherche | Universités de premier plan, innovation | Écosystème de recherche en croissance | Swissnex, échanges universitaires |
La marche sur la corde raide : Équilibrer opportunité économique et risque stratégique
L'approche de la Suisse s'accompagne de complexités significatives. Son parlement continue de débattre de la législation dite « Lex China », qui donnerait aux autorités des pouvoirs élargis pour examiner et potentiellement bloquer les acquisitions étrangères dans des secteurs critiques — une mesure clairement destinée aux investissements chinois sans nommer explicitement le pays.
« Nous observons une approche plus nuancée de la part de Berne », observe un expert en commerce international. « Ils veulent préserver les avantages du commerce et des investissements chinois tout en répondant aux préoccupations légitimes concernant les vulnérabilités stratégiques et le transfert de technologie. »
Cet équilibre contraste fortement avec la position plus conflictuelle de l'UE. Bruxelles a renforcé ses mécanismes de filtrage des investissements étrangers et envisage des tarifs anti-subventions sur les véhicules électriques et les technologies éoliennes chinois, reflétant sa stratégie de « dé-risquage, pas de découplage » envers Pékin.
Échecs diplomatiques : le sommet de l'UE et au-delà
Le prochain sommet UE-Chine, prévu les 24 et 25 juillet à Pékin, se profile comme un moment critique pour les relations européennes avec la Chine. La rencontre de Wang Yi avec Ursula von der Leyen semble conçue pour donner un ton constructif avant ces discussions, le ministre chinois des Affaires étrangères soulignant l'importance pour les deux parties d'« envoyer un signal clair, positif et actif au monde extérieur ».
Pourtant, sous les amabilités diplomatiques se cachent des tensions substantielles. L'UE est confrontée à un déficit commercial massif de 400 milliards d'euros avec la Chine, tandis que Bruxelles s'inquiète de plus en plus des restrictions chinoises sur les exportations de terres rares et de ce qu'elle considère comme une surabondance de produits manufacturés, en particulier les véhicules électriques.
« Le sommet sera un moment décisif », déclare un observateur diplomatique basé à Bruxelles. « Si l'UE et la Chine ne peuvent pas trouver de terrain d'entente sur les déséquilibres commerciaux et l'accès au marché, nous pourrions assister à une escalade significative des contre-mesures économiques des deux côtés. »
La perspective de l'investisseur : naviguer dans le corridor alpin-asiatique
Pour les investisseurs qui suivent ces manœuvres diplomatiques, les implications sont significatives mais nuancées. La relation Suisse-Chine crée à la fois des opportunités et des risques qui exigent une navigation prudente.
Les entreprises pharmaceutiques et de technologies médicales suisses comme Roche, Novartis et Lonza pourraient bénéficier le plus de la poursuite des bonnes relations, car leurs produits font face à une demande relativement inélastique en Chine et bénéficieraient de toute réduction tarifaire supplémentaire. Les entreprises d'automatisation industrielle comme ABB et VAT Group ont également à gagner des subventions de Pékin pour la « Fabrication Avancée 2035 » tout en passant généralement sous le radar des contrôles à l'exportation américains.
Pendant ce temps, les producteurs de produits de luxe font face à un paysage plus difficile. Malgré les efforts diplomatiques de la Suisse, des entreprises comme Swatch et Richemont continuent de lutter contre un excédent de stocks et des flux touristiques faibles — des défis que les percées diplomatiques seules ne peuvent résoudre.
Les marchés des changes pourraient fournir le signal le plus clair de l'évolution de ces relations. Le franc suisse se renforce généralement en période d'incertitude géopolitique, créant une couverture naturelle pour les investisseurs basés en Suisse. Les analystes de marché suggèrent de maintenir une position longue fondamentale sur le franc suisse comme assurance géopolitique, tout en envisageant des positions tactiques sur le yuan chinois si Pékin met en œuvre d'importantes mesures de relance économique.
Perspectives : Le pragmatisme à l'ère de la confrontation
Alors que la Suisse et la Chine travaillent à la modernisation de leur accord de libre-échange — avec un objectif de signature début 2026 — les implications plus larges de cette relation continuent d'évoluer. La volonté de la Suisse de s'engager avec la Chine indépendamment de la politique de l'UE crée à la fois un levier diplomatique et des frictions potentielles avec ses voisins européens.
« La Suisse démontre que l'engagement reste possible même dans une ère de compétition croissante entre grandes puissances », note un historien de la diplomatie. « La question est de savoir si cette approche représente une stratégie viable à long terme ou ne fait que reporter des choix inévitables concernant l'alignement dans un monde plus polarisé. »
Pour l'instant, l'approche pragmatique de la Suisse envers la Chine offre un modèle diplomatique alternatif — un modèle qui équilibre opportunité économique et risque stratégique, cherchant à préserver son autonomie dans un paysage mondial de plus en plus complexe. La durabilité de ce modèle pourrait dépendre moins des relations bilatérales que de la trajectoire plus large de la compétition géopolitique entre la Chine et l'Occident.
CECI N'EST PAS UN CONSEIL EN INVESTISSEMENT