
Un magasin à deux vérités : Rue de Rivoli, l'affaire Shein révèle plus qu'elle ne cache
Les deux faces d'une même médaille : comment le pop-up Shein à Paris a mis en lumière les contradictions des consommateurs modernes
PARIS – En se promenant le long de la très animée Rue de Rivoli, on voit Paris dans toute sa splendeur : d'élégants immeubles haussmanniens, des touristes prenant des photos et, désormais, un vif affrontement d'idéaux. Devant le grand magasin BHV Marais, des manifestants brandissaient des pancartes en carton, accusant Shein d'alimenter la « destruction sociale et environnementale ». Des politiciens, tirés à quatre épingles, se joignaient au chœur, défendant le savoir-faire français et la durabilité. Pourtant, à l'intérieur, sous le dôme scintillant de style Belle Époque du magasin, des centaines de clients faisaient la queue pendant des heures, prêts à faire exactement ce que ceux de l'extérieur condamnaient : acheter des vêtements Shein.
Cette après-midi-là a résumé une histoire bien plus vaste. Ce qui s'est passé au BHV n'était pas seulement une querelle locale sur l'éthique de la mode ; c'était un aperçu de la confusion mondiale. D'un côté, les responsables français se dépeignaient comme des défenseurs de la fierté nationale. De l'autre, les commentateurs chinois célébraient la portée mondiale de Shein comme une preuve de la puissance économique de leur pays. En vérité, les deux camps se sont trompés. Le débat autour de Shein en révèle moins sur le patriotisme et davantage sur la relation complexe entre consommateurs, capitalisme et conscience.
Le paradoxe français est le plus facile à repérer. Alors que le gouvernement menace d'instaurer de nouvelles taxes sur la fast fashion et évoque même la suspension des activités de Shein, le public français clique discrètement sur « ajouter au panier ». Shein est désormais le cinquième plus grand détaillant de vêtements en France en termes de ventes. Près de 27 millions d'internautes français – près de 40 % – ont un compte Shein actif.
Le décalage était impossible à ignorer lors de l'ouverture du BHV. Un acheteur, Thierry, a observé les manifestations et haussé les épaules. « Hypocrites », a-t-il lancé sans détour. « Les mêmes personnes qui crient ici achètent sur Shein, Temu ou eBay dès qu'elles rentrent chez elles. Elles veulent juste des choses bon marché. »
Il n'exagérait pas. Un reportage du Monde a confirmé plus tard ses propos. De nombreux acheteurs français rejettent les critiques les qualifiant de « bobos parisiens », des élites urbaines branchées, déconnectées de la réalité. Ils admettent acheter auprès de marques comme Zara, qui sont loin d'être des parangons de durabilité ou de savoir-faire local. Ils condamnent Shein publiquement mais apprécient en privé ses prix.
C'est la première vérité. La seconde se déroule en Chine, où le succès de Shein est vendu comme une victoire nationale. Certains médias sociaux chinois ont qualifié l'entreprise de symbole de la domination entrepreneuriale de la Chine. Mais cette histoire ne tient pas non plus. Elle prend la popularité mondiale pour un véritable progrès – et ignore ce qui se passe au sein de la propre culture de consommation chinoise.
Les consommateurs chinois ne sont pas aussi épris du modèle « bon marché et rapide » de Shein que ne le suggère la propagande. En fait, une étude récente montre que 47 % des consommateurs chinois n'achètent désormais que les produits dont ils ont réellement besoin. C'est une rébellion silencieuse contre la culture du jetable que Shein incarne. Ils veulent des produits durables, élégants, bien faits – des produits qui durent. Cette nouvelle mentalité a permis à des marques locales comme Peacebird, Urban Revivo et Bosideng de prospérer. Ces marques ne rivalisent pas uniquement sur le prix ; elles gagnent la fidélité par le design, la fonctionnalité et la qualité.
Ces entreprises représentent une Chine plus profonde, plus confiante – une Chine où la fierté nationale découle du savoir-faire, et non des raccourcis. Ainsi, quand les gens affirment que Shein reflète l'innovation chinoise, ils passent à côté de l'essentiel. La véritable expertise de la marque réside dans l'exploitation des failles, et non dans l'invention de l'avenir.
Le modèle économique de Shein n'est pas la preuve d'une brillance à long terme ; c'est une exploitation astucieuse de lacunes temporaires dans les règles commerciales. L'ascension rapide de l'entreprise en Europe s'est bâtie sur une exemption de l'UE qui permet aux petits colis d'entrer en franchise de droits. Les législateurs s'apprêtent déjà à combler cette lacune. Et quand Shein a essayé de s'implanter physiquement à Paris, l'illusion s'est fissurée. Les clients se sont plaints de vêtements trop chers et de mauvaise qualité. Une femme, Sophia, a pris un manteau en similicuir, a vérifié l'étiquette à 95 € et est partie. « Trop cher », a-t-elle dit. « Zara, c'est mieux. »
Le « magasin » s'est avéré être davantage une opération de communication qu'une véritable boutique – une publicité pop-up se faisant passer pour une expérience. Sans ses réductions en ligne, la magie de Shein s'est évanouie.
C'est là que le paradoxe se resserre. Les politiciens français ont raison concernant les aspects les plus sombres de Shein – ses conditions de travail opaques, son gaspillage massif et son hyper-consumérisme. Mais ils ignorent commodément le fait que des millions de leurs propres électeurs maintiennent la marque à flot. Et les nationalistes chinois, désireux de faire de Shein un symbole de fierté, prennent l'opportunisme pour du progrès.
Au final, c'est le marché lui-même qui rendra son verdict. À mesure que l'UE s'attaquera aux lacunes fiscales et à la publicité, l'avantage de Shein s'estompera. Pendant ce temps, les consommateurs chinois montent en gamme, exigeant de meilleurs produits, pas seulement des moins chers.
Les vainqueurs de la course mondiale de la mode de demain ne seront pas ceux qui vendent le plus pour le moins cher. Ce seront ceux qui offriront aux acheteurs quelque chose qui vaut vraiment la peine d'être acheté – un design innovant, une qualité durable et une production éthique. C'est ça, la vraie valeur.
Shein, malgré tout son battage médiatique, n'est qu'une phase dans les difficultés de croissance du monde de la mode ; un acte astucieux mais temporaire dans la plus grande pièce du commerce mondial. Son pop-up parisien n'a jamais été un symbole de triomphe. C'était un miroir, reflétant des vérités inconfortables : l'hypocrisie occidentale, l'excès de confiance oriental et une addiction partagée à la commodité.
Quand la poussière retombera, ce qui restera ne sera pas la vitrine scintillante de Shein ou ses ventes virales, mais la révolution silencieuse des consommateurs du monde entier exigeant quelque chose de mieux – et le pensant enfin réellement.