
Le marché du travail italien se refroidit - Le chômage grimpe à 6,5 % alors que les vents contraires économiques s'intensifient
Le marché du travail italien se rafraîchit : le chômage grimpe à 6,5% alors que les vents contraires économiques s'intensifient
Une reprise fragile : les premiers signes d'alerte dans la troisième économie d'Europe
ROME — Le taux de chômage en Italie a bondi à 6,5% en mai, selon les données gouvernementales publiées mercredi, dépassant les attentes du marché et signalant un potentiel retournement de tendance dans ce qui avait été l'un des rares points positifs du paysage économique du pays. L'augmentation par rapport au taux révisé de 6,1% en avril marque un changement significatif après que le chômage ait atteint un plus bas de près de 18 ans à 5,9% il y a seulement trois mois.
Cette hausse inattendue survient dans un contexte de détérioration des perspectives d'emploi dans les secteurs manufacturier, du commerce de détail et de la construction, seul le secteur des services montrant une certaine résilience. Bien que le chiffre reste historiquement bas par rapport à la dernière décennie, la tendance à la hausse a déclenché des inquiétudes quant à la durabilité de la fragile reprise économique italienne.
"Le marché du travail avait été un rare succès pour l'Italie, mais ce revirement suggère que les fondations pourraient être plus fragiles que nous le pensions", a noté un économiste d'une grande institution financière européenne, qui a requis l'anonymat. "Ce que nous observons n'est pas un effondrement, mais plutôt le premier signe d'alerte clair depuis 2022."
Derrière les chiffres : le reflet de faiblesses structurelles
La recrudescence du chômage révèle des problèmes structurels plus profonds qui minent l'économie italienne depuis longtemps. Bien que 80 000 emplois aient été créés en mai, le marché du travail continue de souffrir de décalages persistants entre les emplois disponibles et les compétences des travailleurs – un problème que les experts attribuent à des décennies de sous-investissement dans la formation professionnelle et la recherche et développement.
"Le vrai problème de la structure salariale italienne ne concerne pas tant les minima... le problème est que nous avons trop de personnes concentrées au niveau minimum, ne faisant pas carrière", a observé Maurizio Del Conte de l'AFOL Metropolitana dans une analyse récente.
Le chômage des jeunes a grimpé à 19% par rapport à un niveau record de 17,3% en février, soulignant la vulnérabilité particulière des jeunes travailleurs. Ce phénomène alimente ce que de nombreux économistes décrivent comme la "fuite des cerveaux" en Italie, alors que les jeunes Italiens talentueux cherchent de plus en plus des opportunités à l'étranger.
Le plus préoccupant est peut-être l'économie souterraine qui fausse les chiffres officiels. Le travail illégal représente plus de 20% de l'emploi total et du PIB, créant une concurrence déloyale tout en sapant les recettes fiscales et les protections sociales.
Le contexte économique général : tournant sur un seul moteur
Les défis du marché du travail italien n'existent pas isolément. Le pays est confronté à un ensemble complexe de vents contraires économiques qui menacent de saper sa trajectoire de croissance déjà modeste :
- La croissance reste anémique, le PIB ne devant augmenter que de 0,6 à 0,7% en 2025, parmi les taux les plus lents de l'UE.
- La dette publique continue de grimper, elle devrait atteindre 136,7% du PIB cette année et 138,2% en 2026.
- La productivité poursuit son déclin alarmant, sapant la compétitivité et limitant le potentiel de production.
- Les tensions commerciales mondiales et les nouveaux droits de douane américains menacent les perspectives d'exportation, traditionnellement un moteur de croissance clé.
Un analyste de marché a qualifié la reprise actuelle de l'Italie de "tournant sur un seul moteur" – la demande intérieure – tandis que les exportations, autrefois un pilier fiable, ont stagné en raison de chocs externes et de faiblesses structurelles.
La fracture Nord-Sud : l'histoire de deux Italies
Le chiffre national du chômage masque de profondes disparités régionales qui caractérisent l'économie italienne depuis longtemps. Le chômage reste significativement plus élevé dans les régions du sud que dans le nord industriel, créant ce qui s'apparente à deux marchés du travail distincts au sein d'un même pays.
Cette fracture est plus qu'une curiosité statistique ; elle représente l'un des défis les plus insolubles auxquels sont confrontés les décideurs politiques italiens. L'écart régional persistant non seulement compromet la performance économique globale, mais contribue également aux tensions sociales et aux migrations internes qui concentrent davantage les opportunités dans les zones déjà avantagées.
Réactions du marché : ce que les investisseurs surveillent
Les marchés financiers ont jusqu'à présent bien accueilli les nouvelles sur le chômage, aidés par deux améliorations de la notation souveraine en 2025 et la posture accommodante de la Banque Centrale Européenne. Le rendement des obligations d'État italiennes à 10 ans s'élève à 3,51%, en baisse de 45 points de base depuis avril, avec un écart (spread) par rapport aux Bunds allemands d'environ 130 points de base.
Cependant, les investisseurs restent vigilants quant aux signes d'une accélération de la détérioration du marché du travail. Un gérant de portefeuille senior au sein d'une société mondiale de gestion d'actifs a suggéré que "le coussin fourni par l'assouplissement monétaire et les améliorations de notation pourrait s'évaporer rapidement si les tendances de l'emploi s'aggravent plus vite que prévu."
Le paysage de l'investissement : naviguer dans les courants contraires italiens
Pour les investisseurs cherchant à se positionner face à l'évolution du récit économique italien, plusieurs stratégies émergent des données actuelles :
Marché obligataire : La courbe des rendements italienne présente des opportunités, en particulier dans les "stratégies d'aplatissement des BTP 10s30s" (recevoir les rendements à 30 ans tout en payant ceux à 10 ans). Les rendements à trente ans semblent généreux après les récentes améliorations de notation, tandis que les risques budgétaires restent intégrés dans le ventre de la courbe.
Marchés du crédit : Les banques italiennes de qualité d'investissement paraissent attractives par rapport au secteur financier européen dans son ensemble. Les ratios de capitalisation dépassent 14% de fonds propres de catégorie 1 (CET1), et la hausse des salaires soutient les bilans des ménages, maintenant les flux de prêts non performants (NPL) en dessous de 2%.
Actions : Une approche en haltère favorise les prestataires de services domestiques (services publics, télécommunications) et les exportateurs de luxe sélectifs dotés d'un pouvoir de fixation des prix mondial, tout en sous-pondérant la construction et les secteurs cycliques confrontés à des vents contraires dus aux réductions de certains avantages fiscaux et à une faible demande externe.
Investissements alternatifs : Le prêt direct aux petites et moyennes entreprises (PME) offre un potentiel, car le désengagement des risques par les banques et le cofinancement du Plan National de Relance et de Résilience (PNRR) créent de la demande. Les investisseurs devraient cibler des spreads autour de BCE + 450 points de base tout en évaluant attentivement la dépendance aux exportations.
Perspectives : la productivité comme champ de bataille clé
Les experts du marché considèrent de plus en plus 2026 comme l'année décisive pour la trajectoire économique de l'Italie. Soit les investissements du Plan National de Relance et de Résilience stimuleront enfin la productivité, soit le relâchement du marché du travail évident dans les données de mai se transformera en un problème structurel.
À court terme, le chômage devrait atteindre un pic d'environ 6,7% au troisième trimestre 2025 avant de diminuer progressivement à 6,1% d'ici la fin de 2026, selon les prévisions consensuelles. Cependant, ce scénario de base fait face à des risques significatifs, notamment d'éventuelles escalades des tensions commerciales ou des retards dans la mise en œuvre des étapes du PNRR.
"L'Italie n'est plus l''aberration périphérique' d'il y a une décennie, mais ce n'est pas non plus l''Allemagne du Sud'", a observé un stratégiste de marché senior. "L'approche sensée est de capturer le portage (carry) mais de louer la duration – cette histoire a encore plusieurs chapitres à se dérouler."
Alors que l'Italie navigue dans ces courants contraires, la résolution finale de ses défis sur le marché du travail déterminera si le pays peut enfin se libérer de son long cycle de faible croissance et de forte dette, ou si les récentes améliorations ne s'avéreront être qu'un répit temporaire.