
Fin de la frontière ouverte : La « Forteresse Canada » de Carney prend forme
Fin de l'ère des frontières ouvertes : La « Forteresse Canada » de Carney prend forme
OTTAWA — Mark Carney met de côté le manuel du libre marché qui a guidé ses années en tant que banquier central vedette. Aujourd'hui, en tant que Premier ministre, il a approuvé l'intervention industrielle la plus agressive que le Canada ait connue depuis des décennies. Face à une administration pugnace à Washington et à une guerre commerciale qui a fait voler en éclats l'ancien consensus économique nord-américain, son gouvernement libéral s'apprête à déployer une vaste stratégie de « Forteresse Canada ». Ce plan vise à protéger l'acier et le bois d'œuvre canadiens des tarifs douaniers américains punitifs et marque une rupture nette avec le libre-échange comme réglage par défaut de l'économie canadienne. À sa place, une nouvelle ère d'autonomie stratégique soutenue par l'État s'installe.
Au cœur de ce changement se trouve une refonte radicale des quotas d'importation. Pour maintenir le marché intérieur entre les mains canadiennes, Ottawa réduira drastiquement les importations d'acier des pays n'ayant pas d'accords de libre-échange — notamment la Chine et d'autres fournisseurs sujets au dumping — de 50 % à seulement 20 % de leurs niveaux de 2024. Dans la pratique, cette mesure construit un fossé réglementaire autour des aciéries canadiennes. Elle vise à réorienter de force une demande d'acier domestique estimée à 854 millions de dollars vers les fonderies locales plutôt que de la laisser fuir vers des concurrents étrangers moins chers.
Une bouée de sauvetage de 1,2 milliard de dollars pour un secteur forestier assiégé
Si le plan pour l'acier semble protectionniste, le sauvetage du bois d'œuvre est presque existentiel. Les tarifs douaniers américains sur le bois d'œuvre canadien avoisinent les 35 %, et des milliers d'emplois se sont évaporés dans les communautés de la Colombie-Britannique et du Québec alors que les scieries ferment ou fonctionnent bien en deçà de leur capacité. En réponse, le gouvernement de Carney débloquera 1,2 milliard de dollars en prêts garantis par le gouvernement par l'intermédiaire de la Banque de développement du Canada. Ces prêts ne sont pas de simples pansements temporaires. Ils fonctionnent comme un capital de restructuration, conçu pour maintenir la solvabilité des scieries tandis que le conflit commercial évolue d'un différend à court terme à une caractéristique intégrée de la relation transfrontalière.
Ottawa ne s'arrête pas à la finance. Il s'engage directement dans la logistique, l'épine dorsale discrète de la compétitivité. La géographie a toujours agi comme une taxe cachée sur l'industrie canadienne, avec de longues distances et des coûts de transport élevés qui grignotent les marges. Pour atténuer cet effet, le gouvernement fédéral couvrira 50 % des coûts de fret domestique pour les secteurs touchés par la guerre commerciale. En plus de cela, les Libéraux ordonneront des réductions des tarifs de fret ferroviaire interprovincial, transformant le réseau ferroviaire national en un service public de facto subventionné pour ce qu'ils considèrent comme des industries stratégiques.
Une règle stricte « Acheter canadien » renforcera ce mur. Les projets d'infrastructure fédéraux devront s'approvisionner en matériaux exclusivement auprès de fournisseurs situés à l'intérieur de ce nouveau périmètre de protection. Si Ottawa construit un pont, un port ou une ligne de transport en commun, l'acier et le bois d'œuvre devront provenir de l'intérieur de la Forteresse. Pour les producteurs nationaux, ce n'est pas seulement un soutien. C'est une demande garantie, inscrite dans les règles d'approvisionnement de l'État.
L'émergence du cartel soutenu par l'État
Les marchés réagissent à la nouvelle comme si Ottawa avait simplement levé un bouclier plus grand. La lecture plus intéressante est que le Canada transforme discrètement des secteurs clés en oligopoles parrainés par l'État. Carney ne fait pas que protéger ces industries. Il les isole et renforce le verrou.
Tout d'abord, considérons ce que l'on pourrait appeler la Prime « Boucle fermée » — acier long, constructeurs courts. En réduisant les quotas hors accords de libre-échange à 20 % et en subventionnant le fret, Ottawa élimine la concurrence mondiale qui fixait autrefois un plancher aux prix. Les producteurs d'acier canadiens tels que Stelco et Algoma obtiennent désormais ce dont tout producteur de matières premières rêve : un marché intérieur captif. Les exportations vers les États-Unis vont probablement se réduire, mais le pouvoir de fixation des prix au pays peut grimper en flèche, car les utilisateurs locaux ont moins d'alternatives.
Du point de vue de l'investissement, le pari évident est de favoriser les producteurs qui contrôlent le bassin d'approvisionnement et de parier contre les développeurs qui doivent acheter chez eux. Les fabricants d'acier devraient bénéficier de prix plus fermes et de volumes plus stables. Les entreprises de construction canadiennes et les développeurs industriels, en revanche, font face à un changement structurel. Leurs coûts d'intrants pour les infrastructures et les grands projets commenceront à se découpler des tendances déflationnistes mondiales de l'acier. Les marges de quiconque tente de construire au Canada ressentiront cette pression.
Deuxièmement vient le « Risque de zombie » dans le bois d'œuvre, où la thèse devient baissière. La facilité de prêt de 1,2 milliard de dollars semble généreuse sur le papier, mais elle comporte un aléa moral classique. Elle maintient en vie des capacités inefficaces sur un marché américain devenu ouvertement hostile. Les scieries qui, autrement, fermeraient ou se consolideraient, peuvent vivoter grâce au crédit de la BDC. Cela retarde la douloureuse, mais nécessaire, réorganisation de l'offre qui finirait par restaurer le pouvoir de fixation des prix aux survivants.
Pour les investisseurs, cela fait des entreprises de bois d'œuvre pures, dépendantes de ces bouées de sauvetage, un pari dangereux. Le gouvernement leur achète du temps, pas de la rentabilité. Les flux de trésorerie peuvent s'améliorer à court terme, mais le problème structurel demeure : trop de capacité orientée vers un marché qui ne veut pas du produit à des conditions équitables.
Enfin, examinons l'arbitrage de subventions ferroviaires. La subvention au fret fonctionne comme un transfert subtil de richesse des contribuables vers les compagnies ferroviaires, notamment le CN et le CP. Le volume que les tarifs douaniers détruiraient autrement ne disparaît pas. L'État le soutient en absorbant une partie des coûts de transport. Ces trains continuent de circuler, non pas parce que la justification économique du commerce l'exige, mais parce qu'Ottawa a décidé que les secteurs stratégiques doivent acheminer leurs marchandises quoi qu'il arrive.
En ce sens, le rail canadien devient un jeu défensif curieux. Traditionnellement, les rails sont des actifs cycliques qui montent et descendent avec l'économie générale. Dans ce cadre, ils obtiennent quelque chose s'approchant d'un filet de sécurité souverain sur le volume. Quand Ottawa subventionne le fret pour les industries protégées, il stabilise également les flux de revenus des géants du rail qui transportent ces matériaux à travers le pays.
Ce qui émerge de ce paquet n'est plus un marché libre de manuel. C'est une économie dirigée avec une hiérarchie claire. Le gouvernement a nommé ses favoris stratégiques et les a enveloppés d'une armure politique, des aciéries aux producteurs de bois d'œuvre en passant par les lignes ferroviaires qui les relient.
Pour quiconque alloue des capitaux, le message est clair et net : il faut se tourner vers les entreprises qu'Ottawa a isolées de la concurrence étrangère et des chocs de demande. Il faut s'éloigner des secteurs en aval — constructeurs, utilisateurs industriels et autres preneurs de prix — qui supporteront les coûts plus élevés de la nouvelle souveraineté économique du Canada.
CECI NE CONSTITUE PAS UN CONSEIL EN INVESTISSEMENT