
Les travailleurs de Postes Canada imposent une interdiction de temps supplémentaire alors que la crise financière s'aggrave et que les colis s'accumulent
Postes Canada au bord du gouffre financier alors que l'interdiction des heures supplémentaires par les travailleurs aggrave la crise
OTTAWA — Dans un vaste centre de traitement du courrier à la périphérie d'Ottawa, le bourdonnement habituel des tapis roulants a cédé la place à un calme étrange. Des montagnes de colis non livrés forment des barricades improvisées entre les stations de tri inactives. Une travailleuse solitaire marque chaque heure d'un regard rituel sur l'horloge – l'interdiction des heures supplémentaires signifie qu'au bout de huit heures, elle s'en va, peu importe ce qui reste à faire.
Cette scène, reproduite à travers le réseau postal canadien, illustre la situation précaire d'une institution vieille de 156 ans qui fait désormais face à ce que des documents internes décrivent sans détour comme une « insolvabilité effective ».
L'interdiction nationale des heures supplémentaires par les travailleurs de Postes Canada est entrée dans son quatrième jour lundi, créant une manifestation visible d'une crise financière plus profonde qui menace de remodeler de manière permanente l'un des plus anciens services publics du Canada. Alors que les volumes de colis ont déjà chuté de 50 % par rapport à l'année dernière et qu'un paiement obligataire de 500 millions de dollars approche en juillet, le litige a évolué d'un désaccord syndical à une véritable crise existentielle.
La tempête parfaite : effondrement financier et crise syndicale
La trajectoire financière de Postes Canada ressemble davantage à une spirale de la mort corporative qu'au déclin régulier d'une institution publique. Les pertes d'exploitation ont grimpé de 548 millions de dollars en 2022 à 748 millions de dollars en 2023, les projections suggérant que la société aura besoin de subventions gouvernementales annuelles d'un milliard de dollars d'ici 2026 juste pour faire face à ses obligations de base.
« Ce que nous observons n'est pas seulement un autre conflit de travail », explique un analyste bancaire senior spécialisé dans les sociétés d'État. « C'est la collision d'un modèle commercial obsolète avec les réalités du marché moderne, se déroulant au ralenti. »
Le gouvernement fédéral a accordé un prêt d'urgence d'un milliard de dollars en janvier pour maintenir les opérations à flot, mais cela représente une mesure palliative plutôt qu'une solution. Le marché obligataire a rendu son verdict sur la solvabilité de Postes Canada : les obligations de juillet 2025 de la société se sont négociées pour la dernière fois à 91 cents pour un dollar, offrant un rendement de 9,7 % (un niveau de détresse) — un écart d'environ 725 points de base par rapport aux titres d'État équivalents.
Pendant ce temps, les travailleurs de Postes Canada, représentés par le Syndicat des travailleurs et travailleuses des Postes (STTP), mènent leur propre bataille contre ce qu'ils perçoivent comme une menace existentielle. L'interdiction des heures supplémentaires, qui a commencé vendredi à minuit, interdit à plus de 55 000 travailleurs postaux de dépasser les journées de huit heures ou les semaines de 40 heures.
Au-delà des négociations : la transformation structurelle des services postaux
Les négociations de dimanche ont révélé le fossé entre les deux parties. Le STTP a présenté ce qu'il a appelé des « solutions complètes, pragmatiques et réalisables » concernant les salaires, les prestations d'invalidité, la livraison de colis le week-end et les niveaux d'effectifs. Postes Canada a promis de les « examiner en détail » et de répondre « dans les plus brefs délais ».
La dernière offre de la société comprend une augmentation de salaire de 6 % la première année, suivie de 3 % la deuxième année et de 2 % les troisième et quatrième années – une augmentation composée de 13,59 % sur la durée du contrat. Les représentants syndicaux jugent cela insuffisant, en particulier compte tenu de la proposition parallèle de Postes Canada d'introduire des travailleurs à temps partiel pour les livraisons le week-end, une mesure qui, selon eux, menace la sécurité de l'emploi.
« Ce litige porte fondamentalement sur la question de savoir si le service postal reste un bien public ou devient une autre victime de la privatisation rampante », a déclaré un économiste du travail qui a étudié les systèmes postaux à l'échelle mondiale. « L'interdiction des heures supplémentaires révèle à quel point l'ensemble du modèle opérationnel de Postes Canada repose sur l'extraction d'un travail non rémunéré ou sous-payé de sa main-d'œuvre. »
La Commission d'enquête industrielle, établie après la grève nationale de 32 jours l'hiver dernier, a livré des recommandations qui pourraient transformer le service postal au-delà de toute reconnaissance. Celles-ci incluent la suppression progressive de la livraison quotidienne à domicile et la mise en œuvre d'un « routage dynamique » qui modifierait quotidiennement les itinéraires des facteurs en fonction du volume — traitant de fait les travailleurs postaux davantage comme des travailleurs de l'économie à la tâche que comme des fonctionnaires.
Gagnants et perdants du marché dans le vide postal
Alors que Postes Canada est en difficulté, les entreprises de logistique du secteur privé tirent parti de l'incertitude. TFI International, le plus grand transporteur de fret et de colis du Canada, a surperformé la Bourse de Toronto d'environ 15 points de pourcentage depuis la grève de novembre, se négociant récemment à 120,08 CAD.
Chaque point de pourcentage de part de marché qui s'éloigne de Postes Canada représente environ 60 millions de dollars de revenus pour des concurrents comme FedEx, qui se négociait à 216,61 USD vendredi malgré la faiblesse générale du marché dans le secteur de la logistique.
« Le marché évalue efficacement un transfert structurel de valeur de l'infrastructure postale publique vers l'infrastructure privée », observe un gestionnaire de portefeuille chez un fonds spéculatif basé à Toronto. « La question n'est pas de savoir si Postes Canada perdra des parts de marché, mais combien il en restera lorsque la poussière retombera. »
Pour les petites entreprises, en particulier dans les zones rurales, la situation crée un dilemme impossible. Un sondage de la Fédération canadienne de l'entreprise indépendante a révélé que 68 % des commerçants ruraux dépendent principalement de Postes Canada pour l'expédition, avec des alternatives limitées ou d'un coût prohibitif.
« Quand Postes Canada éternue, le Canada rural attrape la pneumonie », déclare une propriétaire de petite entreprise dans le nord du Manitoba qui expédie des produits artisanaux à l'échelle nationale. « Les coursiers privés ne nous servent pas du tout ou facturent le triple de ce que Postes Canada fait. Il ne s'agit pas seulement de courrier, il s'agit de savoir si les communautés rurales peuvent participer à l'économie numérique. »
Calculs stratégiques : issues politiques et financières
La résolution du litige repose autant sur des calculs politiques que financiers. Avec des élections fédérales prévues fin 2025, le gouvernement subit une pression intense pour stabiliser les services postaux sans donner l'impression de saper les droits de négociation collective.
Les marchés du crédit révèlent le sous-texte politique. Bien que les obligations de Postes Canada se négocient à des niveaux de détresse, les investisseurs avisés reconnaissent que le gouvernement fédéral est peu susceptible de permettre un défaut de paiement réel quelques semaines seulement avant une campagne électorale. Cela crée ce que les traders obligataires appellent une opportunité de « rappel au pair » : si le gouvernement intervient, comme prévu, les détenteurs d'obligations pourraient constater une appréciation significative de leur prix.
Cependant, un risque croissant émerge des discussions du Conseil du Trésor concernant une législation potentielle qui « isolerait » les nouvelles avances du gouvernement, subordonnant de fait les détenteurs d'obligations existants. Cela représente ce que les analystes de crédit décrivent comme un « risque de queue de 10 % de défaut technique » qui pourrait être utilisé comme levier dans les négociations de restructuration.
Le conflit du travail lui-même pourrait suivre plusieurs trajectoires. Si les négociations actuelles échouent, le STTP pourrait intensifier les actions en grèves tournantes ou un arrêt de travail complet. Le gouvernement fédéral pourrait alors mettre en œuvre une loi de retour au travail, comme il l'a fait pour mettre fin à la grève de novembre-décembre après 32 jours de perturbations.
L'avenir de Postes Canada : trois scénarios
Les experts de l'industrie décrivent trois avenirs possibles pour Postes Canada :
Dans le scénario le plus probable (55 % de probabilité), la société met en œuvre des réductions de service significatives, y compris la livraison trois jours par semaine en utilisant un « routage dynamique » qui optimise les itinéraires quotidiens des facteurs. Les effectifs diminuent d'environ 15 %, tandis que les subventions fédérales annuelles d'environ 1 milliard de dollars deviennent un poste budgétaire permanent.
Une transformation plus spectaculaire (30 % de probabilité) verrait le Parlement adopter une Loi sur la modernisation de Postes Canada, divisant l'organisation en une « entreprise de réseau » maintenant l'infrastructure de base et une « entreprise de colis » commerciale qui pourrait éventuellement être vendue ou introduite en bourse — privatisant de fait les composantes les plus précieuses du service postal.
Le scénario le plus optimiste mais le moins probable (15 % de probabilité) implique que le Parlement désigne le service postal comme « essentiel », le gouvernement fédéral assumant le déficit de retraite et garantissant les obligations en échange de la paix sociale. Cela transformerait Postes Canada en une quasi-entreprise de services publics avec une source de revenus stable axée sur les services critiques.
Le bilan : un service public à la croisée des chemins
Alors que les colis s'amoncellent dans les centres de traitement et que les communautés rurales font face à un isolement croissant des services essentiels, la crise de Postes Canada représente plus qu'un conflit du travail ou une urgence financière. Elle incarne des questions fondamentales sur les infrastructures publiques à l'ère numérique.
« L'interdiction des heures supplémentaires est un symptôme, pas la cause », conclut un expert en politiques publiques spécialisé dans les sociétés d'État. « Postes Canada se trouve à l'intersection du mandat de service public et de la réalité du marché. Ce paradoxe ne sera pas résolu sans un financement explicite des contribuables ou une privatisation de fait. »
Pour l'instant, l'incertitude persiste. Les facteurs continueront de retourner à leurs dépôts une fois leurs huit heures accomplies, quel que soit le courrier non livré. Les entreprises migreront de plus en plus vers des alternatives privées. Et le service postal du Canada se rapprochera d'un règlement de comptes qui se prépare depuis des décennies.