
Le Canada réclame le remboursement après le déménagement par Stellantis d'une usine Jeep subventionnée de 500 millions de dollars de l'Ontario vers l'Illinois
Le manquement de Stellantis au Canada concernant 500 M C$ marque la fin de la politique industrielle nord-américaine telle que nous la connaissions
Le 5 décembre, la ministre canadienne de l'Industrie, Mélanie Joly, a officialisé ce que les avocats spécialisés dans le commerce international chuchotaient depuis des mois : les subventions gouvernementales à l'ère des tarifs douaniers sont sans valeur sans mécanismes d'application rigoureux. Sa mise en demeure à Stellantis NV – déclenchée par la relocalisation en octobre par le constructeur automobile de la production du Jeep Compass de Brampton, en Ontario, vers Belvidere, dans l'Illinois – marque la première fois qu'une nation du G7 utilise le droit contractuel comme une arme contre une multinationale s'adaptant aux tarifs douaniers de 25 % imposés par Trump sur l'automobile.
Les enjeux immédiats semblent modestes : 500 millions de dollars canadiens (C$) d'aide à l'usine d'assemblage, dont 222 millions de C$ déjà déboursés avant que Stellantis ne se retire. Mais le précédent est sismique. Pendant des décennies, les subventions industrielles fonctionnaient comme des « prêts pardonnables » avec une application laxiste, un accord tacite où les gouvernements payaient et les entreprises livraient… éventuellement. La décision de Joly – appuyée par des procédures d'arbitrage confidentielles lancées en novembre – brise ce modèle. Ottawa joue désormais la carte de la fermeté, exigeant soit le rétablissement complet de la production, soit le remboursement, potentiellement avec des privilèges sur les actifs de Brampton.
Le piège qu'Ottawa s'est tendu
L'ironie est d'autant plus cinglante : les accords de financement canadiens de 2022 exigeaient explicitement que Stellantis maintienne une « présence canadienne complète », pourtant, les responsables de l'Industrie avaient initialement affirmé qu'une telle clause n'existait pas lorsqu'ils avaient été interrogés en octobre. Mme Joly elle-même a admis n'avoir examiné les contrats non caviardés qu'à la mi-octobre, après l'annonce de Stellantis. Cette révélation – que 220 millions de C$ ont été déboursés avant que quiconque ne confirme les obligations contractuelles – expose des défaillances de surveillance catastrophiques qui ont sapé le pouvoir de négociation d'Ottawa dès le premier jour.
Pendant ce temps, Stellantis ne bluffe pas sur les forces du marché. L'entreprise a subi un impact de 300 millions d'euros au premier semestre 2025 du seul fait des tarifs douaniers, ce qui a motivé son pivot manufacturier de 13 milliards de dollars américains qui courtise explicitement le programme de relocalisation de Trump. Déplacer la production du Compass permet d'éviter les droits de douane de 25 % tout en captant les crédits de la loi sur la réduction de l'inflation (Inflation Reduction Act) indisponibles au Canada. Les 3 000 travailleurs de Unifor au chômage à Brampton – dont beaucoup sont des immigrants dans une ville diversifiée de 650 000 habitants – sont des dommages collatéraux dans un réalignement de la chaîne d'approvisionnement continentale où les votes syndicaux pèsent moins que l'arithmétique des tarifs douaniers.
Théâtre politique, impact minimal sur le compte de profits et pertes
Pour les actionnaires de Stellantis qui voient l'action stagner à 12 dollars, ce différend est du bruit se faisant passer pour un signal. Même le remboursement intégral de 500 millions de C$ représente une erreur d'arrondi par rapport au flux de trésorerie disponible pluriannuel de l'entreprise et à son programme d'investissements (capex) de 13 milliards de dollars américains – peut-être 50 points de base de la capitalisation boursière dans le pire des scénarios.
La véritable question d'investissement n'est pas de savoir si Stellantis perdra l'arbitrage (probable, avec une récupération partielle négociée de 150 à 300 millions de C$), mais si le Canada fera capoter le programme incitatif distinct de 15 milliards de C$ pour les batteries de véhicules électriques NextStar. Ce résultat a une probabilité quasi nulle – Ottawa ne peut pas se permettre de saboter sa stratégie industrielle verte phare et d'offrir à Trump un trophée symbolique.
Les marchés du crédit devraient à peine ciller ; les obligations EUR/USD existantes ne feront l'objet d'aucune réévaluation du risque de défaut suite à ce qui s'apparente à un litige contractuel localisé. Au contraire, la courbe des obligations de STLA bénéficie du réancrage de la capacité dans des juridictions américaines politiquement stables, même si les détenteurs d'actions doivent désormais intégrer le « risque géographique lié aux investissements » comme un facteur à part entière. Pour les investisseurs de valeur à long terme, toute baisse de plus de 3 à 5 % suite à cette nouvelle représente une surréaction qui offre une opportunité d'achat à contre-courant, à condition d'avoir déjà digéré la volatilité de base liée aux tarifs douaniers de Trump.
Les équipementiers automobiles canadiens comme Magna et Linamar font face à des signaux contradictoires : des amortissements à court terme sur l'outillage de Brampton, mais des gains de contenu à moyen terme s'ils suivent Stellantis dans l'Illinois. La logique est celle de la production totale nord-américaine, et non de la politique d'affichage territorial.
Ce qui meurt ici : Le contrat social des subventions
La victime plus profonde est l'hypothèse post-ACEUM (Accord Canada–États-Unis–Mexique) selon laquelle les chaînes d'approvisionnement nord-américaines pouvaient être gérées par une diplomatie du carnet de chèques. L'avis de manquement de Joly confirme que les gouvernements appliqueront désormais les clauses de performance, transformant les subventions de cadeaux politiques en obligations contractuelles assorties de véritables risques. Pourtant, cette position intransigeante présente simultanément le Canada comme procédurier – un coup porté à sa réputation lorsqu'il est en concurrence avec les incitations américaines simplifiées de Trump pour chaque expansion de Honda et Toyota.
Ce différend cristallise le nouveau régime : la politique industrielle est devenue une arme, l'emplacement des usines est un risque géopolitique, et l'ère de l'extraction de subventions sans conséquences vient de se terminer. Les travailleurs en paient le prix ; les actionnaires haussent les épaules ; et la leçon pour chaque directeur financier planifiant des investissements (capex) en Amérique du Nord est brutale – la géographie détermine désormais votre multiple, pas seulement votre marge.
Ceci n'est PAS un conseil en investissement