Un coup de semonce de 48 millions d'euros pour Apple : Comment la France a enfin tenu tête à l'empire iPhone

Par
Yves Tussaud
5 min de lecture

La piqûre de rappel de 48 millions d'euros pour Apple : comment la France a enfin tenu tête à l'empire de l'iPhone

PARIS – Après plus d'une décennie de batailles judiciaires, Apple a été condamnée à payer 48 millions d'euros pour avoir contraint les opérateurs mobiles français à des contrats unilatéraux. Le Tribunal de commerce de Paris a rendu son verdict, déclarant que les tactiques commerciales d'Apple étaient passées de l'ingéniosité à la coercition.

Pendant des années, le géant technologique a utilisé l'attrait irrésistible de l'iPhone pour plier les opérateurs à sa volonté. Le tribunal a déclaré qu'Apple avait forcé les opérateurs à financer ses campagnes marketing, à s'engager sur des commandes massives d'iPhone à prix fixes, et à céder leur propre propriété intellectuelle — le tout sans juste compensation. En bref, Apple dictait les règles, et les opérateurs suivaient le jeu car ils ne pouvaient pas se permettre de ne pas le faire.

La décision de 48 millions d'euros met fin à une affaire qui a débuté en 2013, lancée par le gendarme de la consommation français, la DGCCRF. Bien que l'amende soit une peccadille pour une entreprise qui gagne plus que cela en quelques heures, la décision elle-même pourrait provoquer des ondes de choc au sein des partenariats mondiaux d'Apple. Le message du tribunal est clair : la domination ne confère pas l'immunité.

Le montant se décompose en une amende de 8 millions d'euros, 950 000 euros de frais de justice, et près de 39 millions d'euros de dommages et intérêts répartis entre trois des principaux opérateurs français : Bouygues Telecom (16 millions d'euros), Free (15 millions d'euros) et SFR (7,7 millions d'euros). La seule exception a été Orange, qui n'a rien obtenu. Les juges ont déclaré qu'Orange avait jadis un accord exclusif avec Apple, contribuant ainsi à créer le déséquilibre même dont il s'est plaint plus tard.


L'anatomie de l'abus

Au centre de cette saga se trouvaient neuf clauses insidieuses dissimulées dans les contrats iPhone d'Apple, notamment celles concernant l'iPhone 5s et 5c. Les régulateurs ont affirmé que ces clauses inclinaient le terrain de jeu entièrement en faveur d'Apple. Le tribunal a acquiescé.

Les opérateurs n'étaient pas des partenaires, mais des pions. Ils devaient injecter des millions dans des campagnes publicitaires gérées par Apple — entre 7 et 10 millions d'euros chaque année, selon les rapports — juste pour voir leurs logos discrètement placés sous celui d'Apple sur les panneaux d'affichage. Le prix ? Non-négociable. Les opérateurs devaient acheter un nombre défini de téléphones à des prix fixes, les enfermant dans des accords même lorsque les tendances du marché évoluaient.

Apple revendiquait également le droit d'utiliser les marques, les brevets et même les données sensibles du réseau des opérateurs sans payer un centime. Et si cela ne suffisait pas, Apple s'est donné le pouvoir de se retirer de l'accord à tout moment — tout en exigeant que les magasins construisent à leurs frais des présentoirs sophistiqués, approuvés par Apple.

« C'était une lente érosion de la liberté », a déclaré une source proche de la plainte initiale de la DGCCRF. En 2013, les ministres Pierre Moscovici, Arnaud Montebourg et Fleur Pellerin ont mené la charge, soutenant que le comportement d'Apple n'était pas une négociation astucieuse, mais un abus, pur et simple.


L'étau européen se resserre

Le verdict français s'inscrit parfaitement dans une tendance européenne plus large : les régulateurs en ont assez de l'arrogance de la Silicon Valley.

En mars 2024, les autorités françaises ont infligé à Apple une autre amende de 150 millions d'euros pour avoir utilisé sa fonction de Transparence du Suivi des Applications afin de donner un avantage injuste à ses propres publicités. Cela faisait suite à une pénalité de 1,1 milliard d'euros en 2020 pour pratiques anticoncurrentielles et à un règlement distinct concernant le « batterygate », lorsqu'Apple a admis avoir ralenti les iPhones plus anciens via des mises à jour logicielles.

Ensemble, ces affaires montrent que les régulateurs européens ont aiguisé leurs couteaux. En vertu du Digital Markets Act (DMA), les entreprises « gardiennes » comme Apple sont désormais tenues de jouer le jeu loyalement ou d'en subir les conséquences. La nouvelle décision française peut se concentrer sur les contrats physiques, mais elle porte le même poids moral : les entreprises puissantes ne peuvent pas continuer à réécrire les règles à leur guise.


Et après ?

Apple n'a pas encore commenté, mais des sources indiquent qu'un appel est déjà en préparation. Cela pourrait prolonger la bataille de plusieurs années. Néanmoins, Apple devra supprimer les clauses litigieuses de tous ses futurs accords avec les opérateurs français — quoi qu'il advienne devant les tribunaux.

Ce changement confère aux opérateurs quelque chose qui leur manquait depuis longtemps : un levier. Bouygues, Free et SFR peuvent désormais négocier sur un pied d'égalité, et l'indemnisation les aidera à étendre les réseaux 5G et d'autres services.

L'effet d'entraînement pourrait se propager rapidement. Des avocats affirment que cette décision fournit un modèle tout fait pour les régulateurs en Italie, en Espagne et en Allemagne afin de revoir leurs propres accords avec Apple. Si cela se produit, l'entreprise pourrait être contrainte de repenser entièrement la façon dont elle mène ses affaires avec les opérateurs du monde entier — un coup potentiel porté à ses marges bénéficiaires sur l'iPhone, notoirement élevées, qui avoisinent les 70 %.

Qu'en est-il des utilisateurs quotidiens ? L'impact pourrait être double. Plus de concurrence pourrait faire baisser les prix ou stimuler l'innovation. Mais Apple pourrait aussi augmenter ses tarifs de gros en Europe pour compenser la différence.


Une portée plus large

Cette affaire ne concerne pas seulement quelques contrats inéquitables. Il s'agit de savoir qui détient le pouvoir — les géants de la technologie ou les marchés qu'ils dominent.

Les régulateurs français ont clairement fait savoir leur position : même la plus grande entreprise du monde doit respecter les mêmes règles que tout le monde. La bataille de douze ans d'Apple sur une poignée de clauses contractuelles s'est terminée par une leçon coûteuse — une leçon qui pourrait résonner bien au-delà de Paris.

Dans la bataille entre l'innovation et la responsabilité, la France vient de rappeler au monde qu'aucun empire, aussi brillant ou emblématique soit-il, n'est intouchable.

Ceci n'est pas un conseil en investissement

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